«Les résolutions sont comme les anguilles ; on les prend aisément. Le diable est de les tenir.» (Alexandre Dumas fils)
Dis-moi mon ami, prendras-tu encore des résolutions cette année? Te raconteras-tu des bobards en faisant fi de cette petite voix intérieure qui te murmure à qui mieux-mieux que tu te fais violence à la seule et simple idée de réfléchir à la chose, que tu te flageoles joyeusement (maudit maso!) en sachant d’avance qu’une catastrophe est en vue? Diras-tu encore cette année en prenant toute la famille à témoin ton fameux: «Pas de changement, pas d’agrément», comme si tu tentais de te convaincre toi-même que le fameux statut quo était impensable et que le bonheur, ça se cuisinait toujours longtemps et avec beaucoup d’étapes dans la recette? À chaque année, des millions de gens comme toi et moi élaborent des plans de toutes sortes pour tenter de corriger leur vie de mille et un vices, pour essayer de rectifier une manque flagrant d’estime de soi ou pour le simple plaisir de gigoter un peu, c’est selon. Et en bon Québécois, ça ne marche pas. Du moins, pas souvent. Pouet pouet pouet.
Pensons-y une fraction d’instant. On aime ça comme des p’tits fous, nous, les humanoïdes, croire en la pensée magique. Si tu ne l’avais pas encore remarqué, non, il n’y a pas de génie caché dans le fond de ton bas de Noël pour exhausser trois de tes souhaits. Et de toute façon, même s’il y en avait un, on serait fort capable de tout gâcher et de mettre trop de sel dans la sauce de notre année à venir.
Génie : «Je peux réaliser trois de tes souhaits, oh, petit être médiocre. Mais comme le chantent si bien les Pussycat Dolls: Be careful what you wish for cuz you just might get it [1]. Choisis scrupuleusement tes trois vœux, chérie.»
Moi, les yeux pleins d’espoir: «Je peux dire n’importe quoi qui me chante, sans exception? Comme par exemple, avoir un rancard avec Javier Bardem qui m’attendrait nu, nu, nu dans un bain de champagne avec des petits canards en plastique qui flottent?»
Génie : «Pauvre connasse.»
Moi : «Ta gueule. Va te faire voir ailleurs, génie.»
Génie : «Exhaussé, bye !»
Doh! Tant qu’à me faire traiter de connasse par un génie, aussi bien qu’il n’existe pas, finalement. C’est meilleur pour l’égo-trip. Mais bizarrement, certains croient que la magie du temps des Fêtes réalise nos rêves les plus fous sans qu’on n’ait à faire le moindre effort pour parvenir à nos fins. On aime ça, gagner sans suer. Ce serait chouette à l’os de fermer les «quenoeils» le 31 décembre et de se réveiller métamorphosé de tout au tout le 1er janvier au matin. Ou de faire le décompte du nouvel an, saoul comme un pot et exalté comme une cocaïnomane… et au moment de dire : BONNE ANNÉE GRAND NEZ !!!!!!! (la multitude de points d’exclamation étant ici de mise), on se retrouve sobre comme une nonne et clean comme le plancher de ma tante Chose-Bine. Ma-gie !
Les mêmes résolutions reviennent tout de même souvent, quand on questionne nos amis, familles, voisins et collègues. J’ai l’impression à chaque année d’entendre la même rengaine et à chaque 31 décembre, de constater les cuisants échecs de tous et chacun, en commençant par les miens qui me sautent dans la face tel un chat caché dans un coin qui n’attendait que cela, le sacripant. On ne peut pas dire que ce constat soit triste à en pleurer. C’est même plutôt amusant. Déjà, je divise les résolutions les plus courantes en quatre catégories plutôt larges : Les vœux pieux, la transformation physique, la recherche de l’épanouissement parfait et les résolutions négatives-positives.
Les vœux pieux
Tu veux changer le monde? Tu souhaites la paix sur Terre? Tu désires plus que tout au monde plus d’ouverture d’esprit chez le commun des mortels, moins de populisme dans nos têtes et dans nos médias et plus d’harmonie chez nos grands (et petits) penseurs? Tu n’aimes pas les gros loups mal léchés (ok, c’est un ours, habituellement, mais pour les besoins de la cause, c’est un loup, right) qui manifestent à tout bout de champ pour un pays moins coloré et plus unidimensionnel? Tu es foncièrement une bonne personne, il n’y a pas à dire. Bravo à toi! Tes idéaux sont plus grands que nature, et même si tu n’as pas les moyens de tes ambitions, tu souhaites que le monde entier soit piqué par le même moustique de l’amourrrr et parle d’une seule et même mielleuse voix le langage de l’unité, du partage et du respect mutuel.
Tes rêves n’ont de limites que celles de l’univers (c’est assez déroutant quand on y pense) et tu as encore espoir de connaître de ton vivant un monde uni où chaque individu a à cœur le bonheur de son voisin… Oui, même le maudit voisin qui lave son entrée en asphalte pendant une interdiction d’arroser en plein été. Même cette piétonne qui fait prendre une pause pipi à son poméranien en plein sur ton beau rosier. En fait, tu rêves en couleur. Tes vœux pieux reviennent à chaque année. J’ai l’impression qu’à l’instar d’un perroquet qui radote et répète comme un damné, tu es prisonnier de tes espérances qui sont un peu plus fripées d’un 31 décembre à un autre. Tu finiras peut-être par t’essouffler, ainsi soit-il, mais je respecte ton audace de croire en l’impossible. Bon. Je t’entends déjà me dire qu’à l’impossible nul n’est tenu et que c’est cette année que les sceptiques seront confondus. J’aimerais y arriver aussi. Tiens, j’en ferai ma résolution de cette année : Apprendre à croire en l’impossible. Merci. Tu viens de me convaincre.
Cette transformation physique tant désirée
Ah! La volonté de fer qu’on peut soudainement avoir avec trois p’tits verres dans le nez dans les festivités de décembre… Et il y a ce miroir, cette satanée glace, qui nous renvoie l’image de notre trop-plein de gras, de nos bourrelets qui ballotent, de notre muffin top de luxe (pas un p’tit muffin, là. THE muffin à 340 calories de chez Tim). On a les cuisses qui frottent quand on marche, les seins qui débordent de façon indécente hors du soutien-gorge, un double menton (ou un triple), alouette! On se fait dire par une «matante» qu’on a profité cet automne (es-tu enceinte, coudonc ?) et on se met aussitôt à imaginer notre corps prendre de l’expansion à une vitesse fulgurante. On se visualise déjà comme futur participant à «Ma vie à 600 livres». Soudainement, on désire passionnément perdre de la bedaine à grandes poussées de fonte, on s’inscrit à la boxe récréative, au yoga chaud. On se jure sur la tête de Dieu le père tout puissant qu’on va bouger plus, manger moins de frites et plus de tofu, qu’on va couper le sucre et le sel, qu’on va se trémousser le popotin à la zumba deux soirs par semaine à suer sa vie.
On pense que c’est facile de se façonner de belles habitudes toutes neuves. On veut des muscles et on les veut rapido presto et si possible, sans souffrance. On ne veut pas être courbaturé. On veut juste trouver le meilleur moyen pour fondre vite et tout égal. Pas question d’avoir des gros bras et des p’tites jambes, là. Ça fait trop douchebag, come on ! S’il faut payer le gros forfait avec l’entraîneur privé et le nutritionniste, let’s go pirouette let’s go, on sort les piastres et on se «pitche» tête première dans le tourbillon de l’entraînement. Engagez-vous, qu’ils disaient [2]… Je fais ça, moi. Je veux de la transformation physique extrême. Je me suis d’ailleurs lancée dans une épopée 2018 «boxe et yoga»… Ça va faire mal à toutes les parcelles de mon pauvre body mollasson, mais j’ai promis à quelqu’un de lui briser le nez avec mon tout nouveau jab bien cassant, que veux-tu? Donc je vais «résolutionner» en ce sens, l’évidence !
La recherche de l’épanouissement parfait
Si tu cherches à devenir plus zen (ommm), que tu veux apprendre à mieux te connaître toi-même, que tu veux assainir tes finances puantes comme des étrons, que tu penses adopter le véganisme comme philosophie de vie, tu es définitivement du genre à t’imposer des résolutions qui visent l’épanouissement parfait. On veut sourire plus, on veut se gâter une fois par semaine, on désire ardemment se trouver un amoureux et on se dit qu’on va s’inscrire sur les sites de rencontres en vogue (on se prend un beau selfie avec une craque de boules pour son nouveau profil Tinder). On se sent trop fêtard et on se souhaite donc de devenir plus casanier. Ou on se trouve trop pépère et on se promet de faire le cinq à sept au moins deux fois par mois (bulles, tartare, sexe et rock’n roll !). On a beau avoir la vie qu’on a (oh le beau début de phrase philosophique), on cherche toujours à faire une ascension vers un peu mieux. On a envie d’un retour à l’école, on veut être plus spontané (ben tsé), on aimerait renouer avec l’enfant en soi, refaire de la peinture (ceci n’est pas une pipe [3]), commencer le scrapbooking ou le tricot, adopter un toutou, reconnecter avec la nature et se baigner nu dans un lac sans se faire attraper, devenir le pro des vinaigrettes maison et le king des sauces. On veut juste être heureux, dans le sens le plus corpulent du terme. Le bonheur a un goût de miel de trèfle, de vin de glace, il sent la lavande et le lilas, il a une apparence de voyages exotiques à Zanzibar ou à Bora Bora, il existe à-travers l’idée qu’on s’en fait… et on court toujours après, comme si on ne l’avait jamais eu entre nos mains. Cours Forrest, cours [4], pendant que tu as encore de bonnes jambes capables d’en prendre…
Les résolutions négatives-positives
Ne plus chialer autant (fermer sa trappe grinçante!). Ne plus froncer des sourcils (ça donne une face de pruneau à quarante ans, c’est pire que le bronzage en ca-canne). Ne plus fumer de clopes (juste des cigarettes – pardon, des bâtonnets – Popeye). Ne plus manger ses émotions en temps de crise («slaquer» la poutine et le cola, «slaquer» la glace. Et la crème fouettée. Et les Wunderbar… Bref, «slaquer».). Ne plus rester impassible face à la misère des autres (développer son oreille et son hochement de tête compatissant. Délirer les cordons de sa bourse. Et le faire pour les bonnes raisons). Ne plus vivre dans ce trou à rats (du balai! Oust!). Ne plus feindre l’orgasme (aussi bien rester impassible pour qu’il comprenne, chose.). Ne plus se surmener (procrastiner stratégiquement et sélectionner ses moments de paresse extrême avec soin). Ne plus voter aux élections provinciales (parce que le «petit peuple» ne gagne jamais, on le sait tous!). Ne plus manger de fruits de mer dans le Sud (maudite diarrhée!). Ne plus rire des niaiseries du p’tit neveu démoniaque (pratiquer son froncement de sourcils efficace… Ah non, c’est vrai… On a dit qu’on ne le ferait plus. Misère). Prononces-tu «ne plus» plus souvent qu’à ton tour, par hasard? Si oui, tu es un «résolutionneur» négatif-positif. Tu fignoles de belles idées portées par une volonté de fer à bloquer certains comportements qui te nuisent ou nuisent à autrui. Certains diront que tu es négatif à crever… Tu rétorqueras, au premier janvier : «Ne plus tolérer ces parasites dans sa vie». C’est aussi simple que ça, la vie. Pas l’temps d’niaiser.
Comment vas-tu décider d’initier la nouvelle année qui point le nez à ta fenêtre? Auras-tu des résolutions que tu ne pourras pas tenir? Ou les tiendras-tu, envers et contre tous? Feras-tu un pied de nez à tous ceux qui croient que tu n’arriveras pas à survivre plus d’un mois avec pour seule alliée ta bonne volonté fermement convaincue mais au pied un brin chancelant? On te dit que tu ne finis pas ce que tu commences, est-ce que ça va t’encourager à prouver à l’univers entier qu’ils se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’aux entrailles? Déjà, si ta résolution était un vœu pieux, je t’annonce que tu n’arriveras pas à changer le monde cette année. Mais persévère donc, au cas où. Si tu tentes plutôt la grande épopée de la transformation physique extrême, je ne sais pas si tu y parviendras, mais je te garantis que tu vas payer pour chaque barre de chocolat ingérée l’an dernier. Flancheras-tu? Peut-être es-tu en quête de bonheur et d’équilibre, et que voudras vivre une année de défriche intérieure? Bonne chance avec ça, comme on dit. Il faut une bonne pelle pour creuser et une faux affutée pour débroussailler. Finalement, on dit que le négativisme est une tare, mais c’est le négatif-positif qui a le plus de chance d’arriver à mettre en application sa résolution.
Bof. Mon opinion compte si peu, après tout, et devrait te servir d’encouragement supplémentaire. Comme l’a si bien écrit Anne Barratin : Les grandes résolutions, comme les grandes armées, sont confiantes en elles-mêmes.
10… 9… 8… 7… 6… 5… 4… 3… 2… 1… Bonne année !
Lundi, je commence le gym. On va dire. Ouin… Peut-être mardi, plutôt.
[1] Extrait de «When I grow up», chanson des Pussicat Dolls.
[2] Citation des bandes dessinées Astérix.
[3] Tiré d’une toile de René Magritte.
[4] Tiré du film Forrest Gump